Je sors de l’aéroport de Chiang Mai avec quelques heures de retard sur l’horaire prévu.
J’achète une sim et sors.
Ma velléité de négocier le prix du taxi ne dure pas longtemps. Il fait déjà nuit, je dors à quarante minutes d’ici, je ne sais pas si le check-in va se faire sans accroc ou si le chauffeur ne va pas se gourer d’itinéraire. Je ne sais pas grand chose. Sinon que j’ai besoin de sommeil, une messe à trouver demain, et mon premier entrainement lundi. Je paye.
Taxi poli, plaisantin, souriant, serviable. J’arrive à Buakkang, San Kamphaeng, sans encombre.
Mon hôte est là, prêt à m’accueillir. Il me fait prendre mon passeport en photo, me donne les clés puis me fait la visite sommaire.
Ici les communs, ici la piscine, ici ta cabane.
J’y pose mes affaires et mes chaussures et enfile les tongs disposées à mon intention. C’est bien fait ici.
Il me demande si j’ai mangé. Je dis que non. Il m’explique dans un anglais sommaire mais explicite que je peux acheter mon diner à deux kilomètres d’ici dans cette direction. Et il me montre le scooter.
Jamais fait de scooter moi. Je le regarde les yeux ronds, fatigué. Mon cœur est encore un peu gris de ma vie en Europe. Mon regard fuit vers les vélos un instant. Il me fait comprendre que je peux pédaler si je veux, mais que sinon, il y a le scooter. Et que c’est simple, c’est automatique, regarde.
Il me parait sincère et sincèrement bienveillant, cet homme à qui je ne donnerai pas moins de la cinquantaine. Peut être même plus.
La fatigue, la chaleur, la faim, la sincérité de ce monsieur, le bruit de la végétation dans le calme du village, les odeurs du jardin… cela ravive en moi une sensation familière. Une petite flamme que je croyais éteinte depuis longtemps, dont j’avais même oublié jusqu’à l’existence, se fait sentir en moi. Faible, mais vraie comme tout. La liberté peut-être?
Après des années dans l’obscurité, elle éclaire et réchauffe vivement. Après tout, si je dois apprendre à conduire, mieux vaut que ce soit maintenant, et ici. Il fait nuit, c’est calme. Et je n’ai pas à craindre le regard de ce monsieur. Le moi qui se serait résigné couillonement à pédaler quatre kilomètres sous prétexte de « sécurité » ou qui aurait eu peur de passer pour un con s’efface. Le moi qui vie et veut s’avance.
Je monte sur le deux-roues. Après m’avoir vu tourner trois fois la clé, sans succès, il me fait un rappel sur le fonctionnement du démarreur. Ah oui c’est vrai… Personne n’est dupe mais personne ne laisse rien paraitre.
Je prends mon air le plus assuré, démarre et sors la bécane de la propriété. Sans me presser pour ne pas risquer quoi que ce soit, mais sans me retourner, au cas où il changerait d’avis, sait-on jamais.
Je prends à gauche, avance un peu, m’assure que j’arrive à prendre quelques à courbes, à droite, à gauche, ok, c’est bon. Je file dans l’obscurité tiède.
Cheveux et pieds au vent, quelque part dans la nuit, je roule. Direction la bouffe, par là, dans deux kilomètres.
La flamme est toujours là. Je souris, j’accélère.
Je suis heureux.
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